Hommage à Simone Pacot, par Luc Weizmann
prononcé lors de la célébration des funérailles de Simone Pacot le 5 mai 2017.
Bien chère Simone,
Comme tu l’as enseigné si souvent, nous nous mettons ensemble en présence de la Présence afin de dire notre gratitude pour ta vie si féconde. Tu es partie au Ciel dans ce beau temps de Pâques, toi qui as transmis avec tant de constance et d’intensité l’apprentissage du Passage intérieur, dans la vigueur du Ressuscité et l’efficience de la Force du Souffle...
Qui pouvait deviner ton âge - tu es née en 1924 ! -, tellement ta pensée s’est renouvelée, tellement ton regard est demeuré ouvert?
Tu as passé ton enfance et ta jeunesse à Casablanca, dans une famille française catholique non pratiquante. Pendant tes études de droit, tu t’es très tôt engagée dans la Jeunesse Etudiante Chrétienne (JEC), et tu as été particulièrement proche de la Congrégation des Petites Sœurs de Jésus.
Tout en exerçant ton métier d’avocat dans le cabinet de ton père, tu as œuvré à la réconciliation entre Chrétiens, Juifs et Musulmans.
Tu as toujours été une battante, comme en témoigne ta qualité de championne de course à pied du Maroc au 400 mètres. Tu as signé le Manifeste de l’Indépendance du Maroc en 1944, au risque d’être emprisonnée, ce qui t’a valu beaucoup plus tard d’être invitée par le roi Hassan II avec les autres personnes encore vivantes qui s’étaient impliquées courageusement, comme toi.
Au milieu des années cinquante, tu entres, en France, dans la communauté de l’Arche de Lanza del Vasto, d’abord à Bollène, puis à La Borie Noble, dans la maison-mère, où tu as vécu, là aussi, un engagement très fort, dans la non-violence et le partage de vie communautaire, sur lequel tu as ensuite beaucoup médité. Puis, tu pars vivre à Tata, dans le désert sud-marocain, pour accompagner une équipe médicale auprès d’une population très démunie.
Tu as vécu là, sous la tente, très pauvrement, durant plusieurs années, ce qui a sans doute fragilisé ta santé. ./...
./... Tu t’installes à Paris au début des années 1970, avec pour seul bien une petite valise et le besoin impérieux d’entreprendre un travail sur toi, dans la dynamique de l’Esprit. Tu reprends alors ton métier d’avocat, en rejoignant dans un premier temps le cabinet de Maître Georges Pinay, puis le collectif Ornano, avec Maître Henri Leclerc, grand avocat au barreau parisien, devenu un ami.
Au sein de ce cabinet très impliqué dans les actions sociales et la défense des droits fondamentaux, tu t’es spécialisée dans le droit de la famille. Tout en préparant scrupuleusement tes plaidoiries, parfois au-devant de parties adverses agressives, tu préparais dans la prière tes entretiens, tu demandais silencieusement à l’Esprit d’entrer dans les salles d’audience. Au-delà des questions purement juridiques ou matérielles, tu ouvrais des situations parfois très douloureuses à une dimension vitale. Avec cette volonté qui t’habitait depuis toujours, de servir Dieu dans la réalité telle qu’elle est donnée.
Combien de personnes en crise familiale as-tu alors accompagnées, soutenues, encouragées au cœur même de l’exercice de ton métier ? Tu as écrit un livre, Si je divorce, pour aider concrètement à trouver la paix et la conciliation au-delà du conflit traversé...
C’est d’une certaine façon comme avocate d’ailleurs que tu as plus tard formulé les Lois de Vie, le cœur de ton enseignement : avec la justesse et la précision, avec l’audace et la prudence d’une juriste.
En parallèle, tu menais un travail intérieur exigeant, sur ce chemin de crête à l’articulation de la foi et de l’approche psychologique. Tu t’es nourrie insatiablement de rencontres et de lectures très diverses, construisant peu à peu une pensée propre fondée sur ton histoire vitale personnelle, œuvrant pour l’unité de l’Être dans toutes ses composantes.
Peu à peu, tu as commencé à transmettre ce que tu découvrais intensément, à accompagner tes proches, puis des personnes qui te venaient par le travail, par tes amis, pour un apprentissage patient de l’ouverture au Souffle de l’Esprit./...
./... Dès ta retraite en 1984, libérée des contraintes professionnelles, et pourtant sujette à des problèmes de santé, tu as commencé une nouvelle étape de vie, en cohérence profonde avec l’ensemble de ton parcours : c’est la communauté protestante de Grandchamp, dont tu es toujours restée très proche, qui t’a incitée à risquer l’aventure d’une parole publique. Ce fut le commencement d’un enseignement structuré, au travers de sessions, de conférences, de rencontres, dans nombre de milieux religieux, de monastères, puis, plus diversement, dans des paroisses et des lieux de toutes obédiences chrétiennes...
En 1990, avec une équipe œcuménique incluant des psychologues, tu fondes l’association Bethasda, dans une liberté créative formidable. À commencer alors une aventure foisonnante qui se poursuit avec une fécondité étonnante...
C’est alors que tu as ressenti la nécessité de formuler par écrit ta pensée. Et quel travail difficile a été l’écriture de ton premier livre, L’Évangélisation des Profondeurs, paru en 1997 ! Tu y as condensé l’essence de ton enseignement, dans le souci de toujours simplifier, d’être comprise, pour que chacun se sente concerné.
Tu as inventé un langage propre, rendant audible aujourd’hui, avec l’acquis des sciences humaines, la Parole brûlante de Jésus. Tu t’adresses aux tout-petits que nous devons apprendre à être, illustrant tes propos avec des exemples vécus, comme autant de paraboles.
Quelle joie a été pour toi la parution de ce livre ! Quel accomplissement pour toi qui n’étais ni théologienne ni psychologue ! Quelle reconnaissance ecclésiale que l’Imprimatur reçu avec évidence pour ce livre-fondement ! Tu es devenue écrivain.
Dans les années suivantes, tu as publié trois autres ouvrages : Reviens à la Vie, Ose la Vie nouvelle, Ouvrir la porte à l’Esprit. Leurs titres mêmes témoignent de l’énergie et de la vigueur de ton enseignement, plaçant avec bienveillance et exigence chacun devant sa propre tâche à accomplir. ./...
./... Traduits dans de nombreuses langues, tes livres t’ont ouvert à un nouveau public, à certains médias, et ont participé au rayonnement des sessions de Bethasda.
En 2005, pour des raisons de santé, tu as dû, de façon assez brutale, arrêter d’enseigner, puis te retirer progressivement de la vie de l’association Bethasda. Tu as poursuivi des rencontres, des entretiens de toutes sortes, en cultivant sans fin un travail intérieur, te fondant toujours plus profondément dans la vie de l’Esprit. Tu écrivais tous les matins, avec passion, veillant à épurer, à aiguiser ta parole dans toutes les directions où elle se déployait.
Tu as poursuivi ton travail d’Évangélisation des Profondeurs jusque dans les hôpitaux et la maison de retraite où tu es passée durant ces deux dernières années, soutenant, encourageant les visiteurs, les résidents, les soignants, par ta parole ou ton silence, par ton regard resté intense...
Dans ton fauteuil roulant, il y a quelques mois, tu as dit : « J’accueille ce qu’on me donne avec reconnaissance ». Il y a une dizaine de jours dans ton lit, tu as chuchoté : « Je vis ma liturgie intérieure ».
La semaine dernière, tandis qu’une sœur te chantait les versets du psaume 33 « Quand un pauvre crie, le Seigneur entend, Il le sauve de toutes ses angoisses », tu as dit avec conviction : « Oui, c’est bien vrai ! ».
Et au moment du Notre Père, tu as affirmé : « Que Ta volonté soit faite ! ».
Quelle force dans le témoignage ultime de ton chemin de vie !
En Dieu, tu as enseigné ce que tu as vécu, tu as vécu ce que tu as enseigné, jusqu’en ton dernier souffle. Chère Simone, dans ta vie parfois très difficile, toujours ardente, entièrement donnée, tu as ouvert les yeux et les cœurs de tant de femmes et de tant d’hommes!
Comme le dit l’Évangile: « Bon et fidèle serviteur... entre dans la Joie de Ton Maître ! ».
Paris, le 5 mai 2017